Cet après midi, nous n'aurons pas l'occasion de nous
voir, ni de nous parler. Pourtant nous sommes si proches,
quelques mètres à peine. Des murs et des grilles nous
séparent Seuls vos appels et les explosions des feux
d'artifice nous parviendront, nous, nous avons choisi de
vous écrire ces quelques lignes. Certains d'entre vous
viennent de très loin. Conscients que la bataille pour la
libération des prisonniers révolutionnaires est liée à la
résistance quotidienne sur des terrains bien différents.
Elle fait partie de votre lutte contre le capital et son
hégémonie néolibérale. Nous savons tous et toutes combien
l'époque est cruciale. La crise générale du système ne
cesse de s'approfondir et la bourgeoisie projette ses
sempiternelles recettes ultraréactionnaires.
Elle sacrifie la simple survie de la moitié de l'humanité
sur l'autel de ses profits. La réaction avance quelquefois
masquée et de plus en plus souvent à visage découvert,
là où le processus de fascisation est particulièrement
engagé. Et les conservatismes paradent comme s'aggravent
les discriminations sociales et raciales. Pas un mois,
sans qu'un État européen n'annonce le vote d'une loi
sécuritaire, des décrets concernant des normes sociales
plus restrictives, la création d'une brigade spéciale et
sa participation à une intervention contre un peuple
opprimé. Aux quatre coins du continent, des partis hier
autoproclamés fascistes s'institutionnalisent pour
prétendre à la virginité retrouvée et participer aux
nouveaux gouvernements en formation.
Dans cette ambiance vert-de-gris, comment s'étonner de la nostalgie du « temps béni » des colonies ?
Les néolibéraux ont entrepris une démolition en règle des droits du travail, au logement et à l'éducation... Les progrès conquis par plusieurs générations de travailleurs sont aujourd'hui balayés d'un revers de main. Des régions entières sont plongées dans un désastre humain sans lendemain. Et pour mieux dissimuler ces ravages et diviser les forces populaires, des campagnes médiatiques ignobles mobilisent l'opinion au nom de la « sécurité » en désignant à la vindicte les nouvelles classes dangereuses. Comme à la fin du 19e siècle et dans les années 30, la réaction agite l'épouvantail du travailleur étranger, celui ne vivant pas comme le « bon citoyen », celui privé d'un travail régulier, ayant une religion différente ou n'en ayant pas du tout. La revendication de l'apartheid et de toutes les formes de ségrégation sociale ne se dissimule même plus. Bien au contraire, pour de nombreux intellectuels et politiques, elle caractérise leur esprit post-moderne capable d'appréhender « sans tabou » la mondialisation et les nouveaux problèmes de société. La répression augure une époque féroce. Nous pourrions citer des dizaines d'exemples de cette dérive. Citons les plus caricaturaux, comme lorsqu'ils expédient le GIPN armé jusqu'aux dents contre les grévistes de la poste de Bègles ou le GIGN en hélicoptère contre les marins corses de la SNCM. Et à l'automne dernier, le parlement a voté l'état d'urgence pour mater la révolte des enfants de banlieues et instauré le couvre feu dans les cités et les quartiers populaires. Selon le modèle néo-conservateur américain, les gouvernants ont choisi d'emprisonner de larges pans de la population déstabilisée par la précarisation et qui y résiste en se révoltant ou en créant une économie de survie. Ils baissent les aides sociales et augmentent les crédits carcéraux. De nouvelles prisons sont construites et aussitôt remplies. En certains lieux, les conditions de détention se révèlent cauchemardesques et seule une répression de matraqueurs cagoulés y maintient un ordre précaire. Plus la société avance vers un contrôle militarisé des populations appauvries et surexploitées, plus la prison s'érige au cœur du domaine social.
Au centre de ce système répressif, le poids de la détention
politique s'est considérablement alourdi. Il n'y a jamais eu
autant de prisonniers politiques depuis la guerre d'Algérie
et parfois ils sont détenus depuis plus de 22 ans.
L'accomplissement de la condamnation prononcée par les
tribunaux spéciaux n'est plus le seul but recherché.
Qui peut encore le croire ? De nombreux prisonniers
sont immédiatement libérables depuis plusieurs années, mais
les juges rejettent leurs demandes de libérations
conditionnelles au prétexte qu'ils ne renoncent pas à leurs
identités politiques.
Désormais les détenu(e)s politiques atteint(e)s de maladies
incurables ne bénéficient plus de la loi
Kouchner de suspension des
peines. Le mois dernier, le Ministre de la Justice a annoncé
qu'il accepterait leur libération seulement à l'heure de
leur agonie. Ainsi le chantage politique pèse même dans le
cadre de la mort lente. Le droit et la loi sont réduits à
l'abrupte expression des rapports de forces.
Pour espérer une libération, la collaboration avec le projet
des tortionnaires est un exercice obligatoire. Le prisonnier
doit s'individualiser jusqu'au bout en dénigrant son action
passée et celle de ses anciens camarades. L'objectif est de
nous obliger à faire amende honorable et de nous contraindre
aux « aveux publics de la
faute ». La réaction actuelle a ainsi réintroduit
l'archaïque peine infamante et les juges la plaquent sur nos
condamnations à la réclusion.
20 ans après, ce n'est plus à nos organisations combattantes
qu'ils en veulent, elles n'existent plus, mais à notre
mémoire collective et par delà à une partie du patrimoine
de la gauche révolutionnaire internationaliste. L'objectif
est d'anéantir l'expérimentation combattante qui, durant
deux décennies, s'est développée dans la zone européenne et
moyen-orientale.
Nombreux d'entre vous étaient très jeunes lorsque notre
engagement nous a conduits dans les cachots de cet État.
Mais il convient de rappeler qu'à travers nous, un fil ténu
se perpétue. Nos combats ont des racines profondes et
anciennes. Georges Ibrahim Abdallah
a grandi au Liban à une époque où, la crise structurelle de
l'entité libanaise devenait de plus en plus insurmontable.
Pour conjurer tout changement et contrer la radicalisation
du mouvement des masses populaires et de la jeunesse,
la bourgeoisie n'hésita pas à pousser vers la guerre civile
confessionnelle.
L'affirmation de la réalité révolutionnaire palestinienne sur le devant de la scène régionale et libanaise a démultiplié la portée des diverses initiatives de luttes sociales fleurissant au début des années 70. Très vite, elle constitua la cible privilégiée de toutes les forces fascisantes de la bourgeoisie réactionnaire. Ainsi à la veille de l'éclatement de la guerre civile de 75 la crise du système a changé de nature et la portée des enjeux. « Les ceintures de la misère » autour de Beyrouth, les villes et les villages du Sud et les camps des réfugiés aux abords des principales villes incarneront dès lors et pour de longues années les enjeux locaux, régionaux et internationaux du mouvement révolutionnaire... Dans des moments d'intense humanité face à la barbarie, cette réalité de lutte, de résistance et de sacrifice a construit la conscience politique de Georges Ibrahim Abdallah et déterminé son engagement révolutionnaire. Tout naturellement, il a choisi la résistance face aux massacres de masse perpétrés par les bourgeois confessionnalistes de tout bord et leurs alliés israéliens et franco-américains. La Quarantaine, Naba'a, Tal Azza'atar, Sabra et Chatila et combien d'autres tueries sont restées dans nos mémoires et c'est à lui seul que les juges osent exiger l'amende honorable ? Longtemps aux côtés de la gauche révolutionnaire arabe, il a résisté quand son pays était occupé par les israéliens et les forces impérialistes. Et alors que de nos jours, l'horizon s'obscurcit dans cette région, il est un des derniers prisonniers de la vieille guerre civile. Dans son adolescence, Jean Marc Rouillan côtoya la communauté des réfugiés espagnols antifranquistes et naturellement en 1970, il a pris les armes avec eux dans la guérilla contre la dictature. À cette époque, Georges Cipriani était ouvrier à Billancourt et porte en lui le souvenir des luttes des OS de la métallurgie. Enfin Nathalie Ménigon est issue des quartiers populaires de la périphérie parisienne et avait une expérience de syndicaliste révolutionnaire. Ainsi la fin des années 70 et au début des années 80, nous qui venions de différents horizons, nous nous sommes rejoints avec des centaines d'autres pour former un front commun, le front anti-impérialiste. Nous nous opposions à la guerre froide, à la révolution néoconservatrice naissante et à son militarisme déchaîné. Nous avions saisi entre autre combien l'agression impérialiste des pays arabes et l'impunité de l'état sioniste s'appuyaient sur la pacification militarisée des populations métropolitaines. Ici ils avaient leurs bases d'attaque et tricotaient les concepts idéologiques du nouveau colonialisme « républicain » (la guerre propre, le droit d'ingérence, la protection des colons civilisateurs, la criminalisation des résistants... ). Autant que nous l'avons pu, nous avons tenté de briser leur monopole de la violence. Car avec les monopoles économiques, financiers, politiques et idéologiques, il est le pilier de leur dictature. Nous avons attaqué les hommes et les structures du projet impérialiste, les bases militaires de l'OTAN, les usines d'armements, le lobby nucléaire champion de la prolifération dans les pays prooccidentaux, les sièges d'Interpol et du FMI...
Et aujourd'hui, en échange de notre libération, ils exigent
que nous dénoncions notre résistance, que nous la
reconnaissions inutile et même erronée, et surtout que nous
en restions à des crimes à avouer et à condamner. La
criminalisation ne s'arrête donc pas à l'idée qu'ici ils
n'ont jamais été remis en cause. Que leurs politiques néo
coloniales rencontraient l'assentiment de tous ou du moins
une neutralité bienveillante. Non ! Notre
criminalisation participerait également à la banalisation
de leurs crimes et de leurs complicités d'alors. La
complicité avec les massacreurs des camps palestiniens et
des quartiers de Beyrouth, le tapis rouge qu'ils déroulaient
devant les rejetons fascistes, les ventes d'armes aux
bourreaux sud africains ou au Shah d'Iran et à sa clique
impériale, son implication directe dans la guerre criminelle
entre l'Irak et l'Iran... la livraison de toute sorte
d'armes, gaz de combat inclus, et des Super Étendard
capables de bombarder les villes iraniennes...
Ou encore la complicité avec Le franquisme et le Salazarisme
au Portugal. Souvenez-vous, pas une parcelle de pouvoir
institutionnel en Europe n'a échappé à la collaboration
directe ou indirecte avec Les tortionnaires ibériques...
Et aujourd'hui, ces gens là nous expliquent sans honte ce
qu'est Le .politiquement correct ! Dans Le front
anti-impérialiste, nous avions compris un point essentiel
de la nouvelle époque. Un élément crucial pour le combat
révolutionnaire et qui ne s'est jamais démenti depuis, bien
au contraire: le caractère de la prolétarisation mondiale.
Sans doute parce qu'ils refusaient de voir plus loin que le
bout de leur rue, les différents sociologues et
sociaux-démocrates chics clamaient l'embourgeoisement de la
classe et même sa disparition.
Pourtant trente ans d'expansion de la production et de
l'échange mondial et de développement industriel des anciens
pays socialistes provoquèrent une explosion sans précédent
du salariat industriel. Dès lors et pour la première fois de
l'histoire, le prolétariat mondial constituait la majorité de
l'humanité.
Les deux points fondamentaux de ce vaste mouvement de
prolétarisation se firent évidents. La prolétarisation
croissait 4 fois plus vite au sud que dans le centre impérialiste.
Et face à la contre offensive de la bourgeoisie pour
rétablir les taux de profit, elle se développait sur les
bases d'une précarisation extrême du travail.
Avec la globalisation néo libérale, la prolétarisation
mondiale et la précarisation sont indissociables. Toutes les
politiques de protectionnisme social ont échoué parce qu'il
n'y aura pas d'amélioration des conditions des prolétaires
ici sans des victoires probantes contre l'impérialisme et le
néocolonialisme.
Ainsi les actions des révolutionnaires sous toutes les
latitudes n'ont jamais été aussi dépendantes les unes des
autres. Dans le front anti-impérialiste, nous avons toujours
essayé d'apporter à cette objectivité des solutions
politiques et pratiques. Et, ensemble, nous
avons lancé le mot d'ordre: « Mener le
combat dans la métropole avec les révolutionnaires du tiers
monde ».
C'est par ce rappel historique que nous voulions marquer la
journée de solidarité avec les prisonniers de la gauche
révolutionnaire. Parce que la détention politique dans les
prisons françaises et européennes est un livre ouvert sur
les chroniques de l'oppression et de la
résistance. D'autant plus que la mémoire
vive des luttes passées ouvre des perspectives pour les
futurs combats. Le pouvoir a parfaitement compris cet
enjeu. C'est pourquoi il durcit mois après mois son chantage
sur les derniers prisonniers et leur expérience
révolutionnaire.
Il espère une détention politique où pour seule politique,
ne subsisterait que le point de vue des oppresseurs. Nous
nous y refusons et nous le refuserons toujours ! Nous
résisterons au pouvoir comme nous l'avons affronté, toujours
collectivement !
La critique de notre expérience revient aux révolutionnaires
qui se préparent dans la lutte à la dépasser et à la
critiquer radicalement.
Centrale de Lannemezan.
25 février 2006
Les prisonniers révolutionnaires. Georges Ibrahim ABDALLAH JJMarc ROUILLAN
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